1 C’est le cas pour la distillerie
Fovel. Voir Fiche 2
2 C’est notamment le cas pour
le manufacturier de tabac
Saint-Michel, qui a changé cinq
fois de site entre 1885 et 1930
pour dénitivement s’implanter
rue Gabrielle Petit à Molenbeek
Fonctionnement industriel en intérieur d’îlot : ana-
lyse typologique
Jusqu’au début du XXème siècle, l’intérieur des îlots primaires est
peu dense. Les constructions sont espacées avant de se densier, consé-
quence de la croissance économique des entreprises. Initialement les ter-
rains sont d’abord occupés par de petites entreprises artisanales typiques
du XIXème siècle. Leurs ux de matière, relativement réduits, leur permettent
de s’installer loin des rues sur des parcelles de faible valeur foncière. La
proximité d’autres parcelles internes a permis à ces petites entreprises de
s’étendre par la suite. Les jeux de rachat et de (re)découpage parcellaire
étaient courants, mais n’affectaient en rien le tissu bâti en front de rue, qui
était de plus en plus dédié aux habitations. L’intérieur d’îlot est ici évolutif
tant par sa disposition que par son utilisation. Cette progression écono-
mique est typique d’entreprises manufacturières apparues à la n du XIXème
siècle.
Plus rarement, ces petites manufactures, lorsqu’elles ne peuvent s’agrandir
dans l’îlot, tentent de se rapprocher de sa bordure. Le front bâti devenant
de plus en plus construit, l’extension pose problème. Ce procédé engendre
inévitablement l’acquisition de la totalité des parcelles voisines et donc le
rachat de la bâtisse sur rues en plus du terrain1. Une opération plus cou-
teuse, parfois obligatoire.
Lorsque ces industries manufacturières ne peuvent s’étendre sufsam-
ment, elles se délocalisent. Ainsi de nombreuses entreprises ont fait bâtir
d’importantes installations en périphérie du tissu urbain au début du XXème
siècle. Ces constructions imposantes, signe de la santé économique de la
ville, sont apparues dans les communes de Schaerbeek en Laeken notam-
ment. Nombre d’entre elles sont installées en bordure d’îlot sur d’impor-
tantes parcelles et ont fait bâtir de nouveaux bâtiments modernes, rigou-
reusement agencés suivant les progrès modernes (taylorisme, mécanisation
..)2.
Redénir une parcelle économique en intérieur d’îlot implique de com-
prendre de quelle manière traverser la bordure bâtie. De ce fait la cohabi-
tation avec les acteurs immuables de l’îlot est décisive quant au bon fonc-
tionnement de ce dernier. Les parcelles sur rues sont par leur situation
favorisées pour leur accès facile. Aujourd’hui les modications de parcelles
sont rare ; pour cause d’une grande densité bâtie dans la métropole.
16
C. Organisation parcellaire
Un lien étroit existe entre la conguration parcellaire et le fonc-
tionnement industriel. Globalement deux congurations de l’espace éco-
nomique se dégagent : les industries en intérieur d’îlot et les industries en
bord d’îlot. Ces deux implantations induisent des comportements diffé-
rents. Trois grands critères morphologiques se dégagent : la situation, l’ac-
cès et l’implantation bâtie ; nous nous focaliserons désormais sur les îlots
primaires.
Situation
Accès
Au XIXème siècle il était possible d’accéder à certains intérieurs
d’îlots par une voie, nommée impasse, reliant la rue à la bordure de la
parcelle économique. Ce moyen d’accès, caractéristique des grands îlots
primaires a progressivement disparu au cours du XXème siècle, conséquence
des décisions envers l’impasse. L’impasse était alors soit transformée en
rue, soit acquise par les propriétaires des terrains économiques qu’elle des-
servait. C’est le cas pour la porcelainerie Demeuldre, dont l’îlot fut unié à
la toute n du XIXème siècle.
Aujourd’hui l’accès aux parcelles en centre d’îlot se fait quasi exclusivement
par une entrée unique. Trois manières se distinguent : l’accès par le vide,
l’accès par bâtisse non industrielle (commerces/habitat/bureaux) et plus
rarement l’accès par bâtiments productifs. La largeur de ces accès, qu’ils
soient bâtis ou non, correspond à une parcelle d’environ 5 à 7 mètres, par
similitude aux découpages parcellaires attenants.
Typologies d’accès
Bâti industriel Bâti non industriel Vide
Par son organisation parcellaire, l’îlot pri-
maire dédie à l’industrie ses parcelles centrales.
Elles sont de grande taille et donc plus exibles en
terme d’implantation, malgré des irrégularités de
tracé. Leur positionnement (en retrait du front bâti)
leur octroie peu de contraintes de mitoyenneté et
par conséquent une plus grande liberté formelle. Elles sont cependant peu
visibles depuis l’espace public, ce qui peut s’avérer défavorable en termes
de prospection.
17
Implantation bâtie
En intérieur d’îlot, l’implantation se fait généralement autour d’un
ou plusieurs vides. En effet les dimensions extraordinaires des parcelles
économiques permettent leur présence. Ils articulent l’accès principal avec
les différents bâtiments du complexe. Les manufactures sont majoritaire-
ment dotées d’ateliers disposés sur un ou plusieurs niveaux en fonction de
l’importance de la fabrique. L’espace économique est ici composé d’une
seule typologie bâtie. Les éventuels bureaux sont soit relégués en front de
rue lorsque celui-ci est bâti, soit mêlés aux bâtiments productifs. L’implan-
tation bâtie peut se faire de trois manières : sur cours, suivant un schéma
linéaire et plus rarement en caserne.
Sur cour Linéaire En caserne
18
D. Fonctionnement industriel
L’architecture économique du XIXème connait plusieurs typologies
bâties antagonistes. Au moyen âge, les ateliers, les brasseries, les moulins
dédiaient une partie de l’espace à la fonction productive3. Ces bâtiments
s’inspiraient de manière générale des constructions rurales (fermes, châ-
teaux, maisons bourgeoises) et disposaient d’un fonctionnement double :
habitat et travail. Le complexe purement économique, ce que nous appe-
lons manufacture aujourd’hui, apparait au milieu du XVIIIème, sous la tutelle
des monarchies. Ce sont les manufactures royales. Il faut attendre le début
du XIXème pour voir apparaître de plus petits complexes privés, successeurs
typologiques de l’atelier. Quatremère de Quincy, dénit en 1832, la manu-
facture comme « une étendue de terrain distribuée en différents corps de bâtiments
». C’est « un batiment dont la condition première est l’utilité »4. Il insiste sur le fait
que l’architecte doit privilégier le nécessaire et se refuser le luxe de la déco-
ration.
Typologies des bâtiments
C’est la première révolution industrielle qui fait émerger les nou-
velles typologies productives, réellement différenciables de l’atelier. Les
machines à vapeur viennent progressivement s’adjoindre a l’espace de tra-
vail. Le bâtiment se mécanise ; une adaptation formelle devient nécessaire.
De plus, les nouveaux systèmes constructifs (acier, béton) ainsi que la ra-
tionalisation des processus de production apparaît à la n du XIXème siècle.
Bruxelles dispose d’un large éventail de bâtiments industriels. Emmanuelle
Real5 a distingué cinq typologies architecturales : l’industrie fonctionnelle,
l’industrie rationnelle, l’industrie de prestige, l’usine moderne et les bâti-
ments techniques. De manière plus schématique, nous préfèrerons aborder
les bâtiments industriels selon trois modèles morphologiques : les bâti-
ments bas, les halles et les bâtiments à étages.
3 WAKNINE B., Bruxelles Histoire
de planier : urbanisme au 19e et
20e siècles, Éditions Mardaga,
Bruxelles, 2017, p. 44
4 Antoine Chrysostôme
Quatremère de Quincy, Encyclo-
pédie Méthodique. Architecture,
Volume 2, p. 668
5 Dans Reconversions. L’architec-
ture industrielle réinventée, Ope-
nEdition, In Situ - Revue
des patrimoines, Ministère
de la culture, 2015, Ch. 2
7 C’est le cas pour l’an-
cienne centrale électrique,
Rue Vandenbroeck et son
système de réfrigérant à
cheminée
8 Nous citons comme
exemple la Manufacture de
lampe éléctriques à An-
derlecht
6 Les presses Tilbury, à
Ixelles illustre ce cas.
Les bâtiments bas se composent d’une structure
simple. Cette dernière doit uniquement soutenir la
toiture et dispose par conséquent d’un plan beaucoup
plus libre, conséquence de l’espacement des appuis.
L’espace résultant permet ici la disposition de nom-
breuses machines.6
Les halles sont destinées à des industries désireuses
d’avoir un grand volume d’usage, permettant l’usage
de grands dispositifs mécaniques ou de production.7
Enn les bâtiments à étages sont soit destinés à un
processus productif vertical, soit à un travail de pré-
cision requiérant beaucoup de lumière8.
Bas
Halle
À étages
19
Modèles productifs
Le début du XXème siècle est marqué par d’importants progrès dans
les milieux productifs. Outre les avancées technologiques (démocratisation
de l’électricité, apparition de l’automobile, télécommunication), l’évolution
de l’organisation du travail a eu une grande inuence sur l’architecture. Fre-
derick Taylor l’a notamment dénie suivant deux dimensions9. La dimen-
sion verticale qui distingue la conception et la production et la dimension
horizontale qui décompose les taches. Cette clarication a engendré une
distinction des affectations au sein des complexes économiques. L’archi-
tecture devient organisationnelle. Le fonctionnement industriel n’est pas le
même au milieu du XIXème qu’au milieu du XXème. Pour simplier, nous par-
lerons de manufactures (un établissement où la qualité de la main-d’œuvre
est primordial) et d’entreprises pour distinguer ces deux modèles, représen-
tatifs des deux époques.
Le fonctionnement productif des complexes est régi par la catégorie éco-
nomique de l’entreprise. De tout temps celle-ci a su s’approprier les terrains
dont elle disposait. On retrouve donc toutes les catégories industrielles
dans les deux types d’îlots étudiés (atelier, usine, imprimerie, manufacture,
minoterie, distillerie, etc.). Le fonctionnement productif est interdépendant
de la typologie bâtie et de la surface disponible, mais non de la situation
parcellaire.On discerne trois modèles productifs : la production séparée, la
production verticale et la production linéaire.
9 CAIRE, G., Lecture du taylo-
risme, Revue de l’Économie
Sociale n°3 et 4, 1985
10 Le complexe de grande
taille abrite un ensemble de
bâtiments disposant chacun
d’un rôle spécique. Les
différents corps de produc-
tion sont répartis les uns à
côté des autres de manière
à suivre le processus de ré-
alisation. La production des
éléments est réunie sur une
partie du site, l’assemblage
est disposé sur l’autre. Les
différents magasins suivent
le cheminement du produit,
les stocks sont éloignés du
parcours.
11 C’est le cas pour l’huile-
rie de tournesol Deffaux,
anciennement située rue
Rnasfort à Molenbeek.
En terme de production verticale, le processus se ré-
sume généralement à un produit par bâtiments. Les
manufactures de pianos illustrent bien ce procédé.
Les étages supérieurs étaient destinés aux travaux
de précision (systèmes mécaniques et éléments -
coratifs). La partie acoustique était réalisée à l’étage
intermédiaire (cadre et cordes). Le rez-de-chaussée
était occupé en partie par la fabrication des struc-
tures, et l’assemblage du produit ni. Ces derniers
niveaux étaient plus couramment mécanisés.
L’usine mécanique Bolinck est un exemple de pro-
duction séparée10. Ce schéma d’implantation rap-
pelle celui du campus et accorde une place impor-
tante aux « rues » extérieures. L’industrie requiert ici
une grande surface économique ce qui lui permet de
faire face aux régulières évolutions technologiques.
Cependant l’expansion urbaine a eu raison de cette
convoitise terrienne et peu de ce type de complexe
est encore présent aujourd’hui dans le tissu urbain.
La production linéaire implique plusieurs
bâtiments bas, souvent interconnectés.
Ce modèle est précurseur de la chaine de
production, très largement démocratisé
au milieu du XXème siècle11. Ce processus
peut aussi exister dans des complexes à
étages. C’est le cas pour la chocolaterie
Antoine chacun des étages des deux
bâtiments de production fonctionnaient
en pair.
Séparé
Vertical
Linéaire
20
L’analyse de la typologie et du processus productif se rejoignent
et nous permettent de distinguer deux grandes catégories de bâtiments
industriels. Ceux qui ont été construits en connaissance du processus de
fabrication, et ceux qui ont été adaptés à ce processus. Le développement
historique d’une entreprise artisanale vers une entreprise nationale a en-
gendré deux attitudes de la part des industriels : étendre et adapter leurs
installations existantes, ou délocaliser pour reconstruire des installations
modernes. Le cigarettier Gosset en témoigne puisqu’il a changé cinq fois de
site de production entre 1885 et 1930. En ville, ces nouvelles installations
sont l’emblème des industries, elles symbolisent la réussite économique et
attirent par leur architecture de nouveaux partenaires commerciaux. Les
autres, plus pragmatiques quittent progressivement les zones denses. Les
industries en intérieur d’îlot deviendront peu à peu saturées. Leur expan-
sion cessera un jour ou l’autre.
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